L’approche de la période estivale nous amène généralement à poser un regard rétrospectif sur nos activités, avant une pause bien méritée. Cette année n’y fait pas exception, au contraire! Elle a été, et demeure à ce jour marquée par une crise d’un tout nouveau genre, jamais vécue par la majorité d’entre nous, résultant de la pandémie de Covid-19. Celle-ci nous aura poussé à adapter nos façons de faire, à nous réorganiser et à revoir nos priorités, personnelles et collectives.
Cette situation a aussi mis en lumière le rôle prépondérant des institutions publiques comme gardiennes de notre sécurité, des droits des citoyens et de nos processus démocratiques. Toutes les sphères d’activités et d’intervention de notre société ont été affectées par cette crise. Le constat préliminaire que nous pouvons faire est que la solidarité des citoyens, le respect de la démocratie, la transparence de l’information et les mesures d’intervention dont dispose l’État sont tous des éléments essentiels pour gagner cette bataille.
Dans ce contexte exceptionnel, alors que les mesures d’aide des gouvernements se sont multipliées au cours des derniers mois, que les projets pour appuyer la relance économique deviennent prioritaires et que le support aux citoyens par les institutions publiques est plus important que jamais, les activités de lobbyisme visant nos institutions publiques ont pris un tout nouveau sens. Cela nous renforce dans notre positionnement comme institution : le Commissaire au lobbyisme est là pour les citoyens et sa mission d’assurer la transparence des communications d’influence effectuées auprès de l’État est plus que jamais au cœur de la santé démocratique du Québec.
Passé et présent : le rôle de la transparence dans la relance
Le 11 juin dernier marquait le premier anniversaire du dépôt à l’Assemblée nationale de notre rapport intitulé Simplicité, clarté, pertinence, efficacité : Réforme de l’encadrement du lobbyisme . Fruit du vaste chantier de travaux de recherche et d’analyse entrepris par notre équipe, ce rapport posait d’abord un diagnostic sur les lourdes lacunes de compréhension et d’application qui contrecarrent les objectifs démocratiques de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. Dans le but de nourrir la réflexion des parlementaires sur la modernisation essentielle de la Loi, ce rapport propose 34 principes fondés sur les meilleures pratiques identifiées au niveau national et international en matière d’encadrement du lobbyisme, adaptées à notre contexte québécois. Alors que certains parlementaires et d’autres parties prenantes disaient attendre avec impatience le dépôt de ce rapport, j’espérais humblement qu’il suscite davantage d’intérêt auprès des autorités et des médias, qu’il soit vu comme un tremplin pour moderniser la Loi.
Comme notre diagnostic en faisait état, la volonté politique ou sociale de faire évoluer le régime d’encadrement des activités de lobbyisme se manifeste malheureusement trop souvent pour guérir, plutôt que pour prévenir.
Alors que la relance économique est sur toutes les lèvres, la transparence des activités de lobbyisme est plus que jamais un enjeu capital pour assurer le plein exercice des droits fondamentaux que sont le droit à l’information et la liberté d’expression des citoyens.
Les débats entourant les mesures prévues par le projet de loi no 61 ont mis en lumière l’importance pour nos institutions de mettre en œuvre les mécanismes de surveillance dont l’État s’est doté, notamment depuis la Commission Charbonneau, et d’assumer leur imputabilité dans la gestion des ressources collectives. Parmi ces responsabilités vient celle que soient divulguées au public les activités d’influence accomplies auprès des institutions. Selon la Loi, cette responsabilité incombe en premier lieu aux entreprises, organisations et individus qui accomplissent des activités de lobbyisme. Mais, on l’aura constaté tout au long de la crise, les attentes des citoyens envers nos institutions en matière de transparence sont grandes.
La Loi ne vise pas à déterminer si les influences exercées auprès des institutions sont acceptables ou non. Elle est essentiellement une loi d’accès à l’information. Elle a pour objectif d’en assurer la transparence et la divulgation pour les citoyens. Le Commissaire au lobbyisme n’a donc pas pour mission d’intervenir dans les mesures de relance que le gouvernement souhaitera mettre en place, que ce soit par l’entremise du projet de loi no 61 ou autrement. Sa mission est de s’assurer que les activités de lobbyisme effectuées en lien avec ces mesures seront divulguées selon les délais et les exigences de la Loi. Et j’entends déployer tous les moyens à ma disposition pour ce faire.
Mais, comme l’ont dit plusieurs intervenants et commissaires à travers les années, la législation est un frein important à sa propre mise en œuvre. La Loi créé elle-même des incohérences et des exceptions que le commissaire n’arrive pas à s’expliquer en 2020 et qu’il ne pourrait justifier au public.
Saviez-vous par exemple que, si un représentant d’une entreprise ou d’une organisation ne fait pas des activités pour une partie importante de son emploi ou de sa fonction, il n’aura à divulguer aucune de ses tentatives d’influence?
Ou encore, que les activités de lobbyisme effectuées par un lobbyiste-conseil (expert en relations publiques, avocat, urbaniste ou tout autre professionnel) n’auront pas à être divulguées si elles sont effectuées gratuitement pour leur client ? Et c’est sans même soulever le fait que la majorité des organismes à but non lucratif n’ont, contrairement à toutes les autres juridictions au Canada, aucune obligation de divulguer leurs communications d’influence alors que plusieurs ont été formés et agissent principalement pour représenter les intérêts de leurs membres auprès des pouvoirs publics.
Qu’à cela ne tienne, le commissaire et son équipe continuent d’accomplir leur mission au quotidien et l’avenir reste prometteur. À cet égard, notre équipe de la Direction de la vérification et des enquêtes continuera de s’assurer que les activités de lobbyisme sont inscrites au registre pour concrétiser la transparence au bénéfice du citoyen.
Alors que le Québec redémarre de grands secteurs d’activités économiques et que le gouvernement a exprimé fermement sa volonté d’entreprendre un virage numérique tout en assurant la protection des renseignements personnels, nous avons mis sur pied une équipe qui surveillera particulièrement les activités de lobbyisme liées à la cybersécurité pour que les joueurs de ce secteur d’activité effectuent leurs représentations en toute transparence. Dans ce contexte en pleine transformation, nous accompagnerons plus spécifiquement les ministères et organismes publics afin de les aider à assumer leur rôle de gardiens de la transparence du processus décisionnel public.
Futur : Réformer à même le nouveau registre des lobbyistes
Parmi les grandes avancées du dernier exercice, la sanction en juin 2019 du projet de loi no 6, confiant l’administration du registre au Commissaire et allongeant le délai de prescription des poursuites pénales, fut un pas très significatif dans la modernisation de notre régime d’encadrement. Le support du gouvernement et de tous les parlementaires envers ce projet fut notable et doit être souligné. Et c’est avec enthousiasme que nous travaillons à la réalisation de la nouvelle plateforme de divulgation des activités de lobbyisme dont la mise en œuvre est prévue pour le 19 décembre 2021. Imaginez : recevoir une notification automatique lorsqu’un mandat ou un sujet vous interpelle…
Nous croyons fermement que, malgré les lacunes de la Loi actuelle, nous pourrons accomplir des pas de géant vers une meilleure transparence à travers ce nouvel outil « simple et efficace », selon les exigences que la Loi lui impose désormais. Mais…
il va sans dire que nous ne verrons pas tous les bénéfices d’un nouveau registre tant qu’il sera borné par les limites actuelles de la Loi.
Comme je le mentionnais ci-dessus, à mon avis, notre projet de réforme n’a pas reçu l’attention qu’il mérite. Pire, certains ont même suggéré de reporter la réforme de cinq ans, le temps de voir comment le nouveau registre que nous développons va évoluer.
S’il est certain que la nouvelle plateforme de divulgation des activités de lobbyisme sera un élément majeur dans la façon de rendre transparentes les activités d’influence auprès des institutions publiques, il ne peut changer les problèmes fondamentaux que pose l’application actuelle de la Loi.
C’est pourquoi au cours des prochains mois, nous continuerons de promouvoir une réforme globale et cohérente de la Loi, tout en étant conscients que la sortie de la crise sanitaire sera exigeante et entraînera une révision fréquente des priorités, notamment en matière législative.
Qu’à cela ne tienne encore une fois! Alors que l’un des principes fondamentaux avancés par notre Énoncé de principes visait la complémentarité des actions et des moyens dont l’État se dote afin d’atteindre la transparence, nous serons vigilants quant à tous les projets de lois et toutes les opportunités qui pourraient nous permettre de faire évoluer le régime d’encadrement du lobbyisme et d’en promouvoir la complémentarité avec les autres mécanismes et outils de transparence. Qu’il s’agisse de la réforme parlementaire proposée par le président de l’Assemblée nationale, de l’introduction d’un régime de sanctions administratives par le registre des entreprises ou des modifications réglementaires qui seraient requises pour mettre en œuvre certaines fonctionnalités de notre nouvelle plateforme, je crois que le gouvernement doit saisir toutes les occasions de moderniser notre régime d’encadrement pour qu’il réponde enfin aux attentes grandissantes, et justifiées, des citoyens.
En cette période d’effervescence post-confinement, il est essentiel que la volonté de tous les acteurs concernés soit conjuguée : parlementaires, ministres, lobbyistes, entreprises, organisations, médias et citoyens, pour que s’ouvre enfin une discussion essentielle sur le renforcement de la Loi et de la transparence qu’elle vise à promouvoir, au bénéfice des citoyens.
Me Jean-François Routhier
Commissaire au lobbyisme