En 2017, à la suite d’une enquête menée relativement à des activités de lobbyisme exercées auprès du directeur de l’urbanisme de la ville de Boisbriand par M. Philippe Castiel, le Directeur des poursuites criminelles et pénales lui transmet un constat d’infraction pour avoir exercé des activités de lobbyisme sans être inscrit au registre des lobbyistes. M. Castiel a plaidé non coupable. Le 21 décembre 2018, la juge de paix magistrat Caroline Roy de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, le déclare coupable et le condamne à payer une amende de 500$ plus les frais.
M. Philippe Castiel est ingénieur et il travaillait comme chargé de projet pour le compte de Corporation Bais Halevy dans le cadre du prolongement de la rue Moishe à Boisbriand. Le 12 février 2016, il a transmis un courriel au directeur de l’urbanisme de la ville afin de demander la tenue d’un conseil municipal extraordinaire concernant un permis de lotissement.
La juge retient que l’envoi d’un courriel peut constituer une activité de lobbyisme puisque le terme « écrit » réfère à l’ensemble des moyens de communication. Analysant le courriel du 12 février 2016 et l’ensemble des échanges entre M. Castiel et les représentants de la ville, elle conclut que la démarche de M. Castiel peut être raisonnablement envisagée comme étant susceptible d’influencer la prise de décision ou le moment où cette décision sera prise, relativement à l’octroi du permis.
La juge analyse ensuite si l’exception prévue à l’art. 5(2) de la Loi concernant les représentations faites dans le cadre d’une séance publique d’une municipalité inclut la demande de tenir une séance publique extraordinaire ». Elle mentionne que ce courriel n’est pas public et qu’en conséquence, la demande de tenir un conseil municipal extraordinaire concernant le permis de lotissement n’est pas connue des citoyens. Selon elle, le courriel du 12 février 2016 ne peut être isolé du contexte dans lequel il a été envoyé. L’examen des échanges démontre que le projet ne progresse pas au rythme souhaité et le courriel en question vise à accélérer ce processus d’approbation.
La juge Roy conclut finalement que M. Castiel ne peut pas bénéficier de l’exception prévue à l’article 5(2) de la Loi, puisque l’objectif de transparence ne serait pas atteint si ce paragraphe incluait les demandes de tenir une séance du conseil municipal.
M. Castiel porte en appel la décision de la Cour du Québec le déclarant coupable. Le 28 juillet 2020, la Cour supérieure rejette l’appel et maintient la décision de la juge de première instance. La Cour supérieure conclut que la juge Roy n’a pas commis d’erreur en concluant que l’envoi du courriel du 12 février 2016 pouvait raisonnablement être considéré comme une activité de lobbyisme. La juge a pris en considération la définition d’activités de lobbyisme prévue à l’article 2 de la Loi afin d’appliquer le critère approprié, soit le critère objectif de la personne raisonnable.
Toujours selon la Cour supérieure, la juge Roy n’a également pas commis d’erreur en tenant compte du contexte entourant l’envoi du courriel du 12 février 2016, dont des courriels échangés avant et après celui-ci. La Cour supérieure précise que le contexte est important et pertinent pour bien comprendre la situation. Elle ajoute que le fait d’isoler le courriel du restant de la preuve et l’analyser seul sans tenir compte du contexte aurait en soi constitué une erreur.
Également, la Cour supérieure retient la conclusion de la juge de première instance voulant que la demande de tenir une assemblée extraordinaire n’est pas visée par l’exception prévue à l’article 5(2) de la Loi. Reprenant l’analyse de la juge de première instance, la Cour supérieure fait notamment référence au fait que si le législateur a pris le soin de prévoir cette exception c’est parce qu’à contrario il voulait que les communications à l’extérieur du cadre d’une séance publique soient assujetties à la Loi, et que d’interpréter autrement cette exception ne permettrait pas d’atteindre l’objectif de transparence visé par le législateur.
M. Castiel dépose à la Cour d’appel du Québec une demande pour autorisation d’en appeler du jugement rendu en Cour supérieure, rejetant l’appel de la déclaration de culpabilité prononcée le 21 décembre 2018 par le juge de paix magistrat Caroline Roy. Cette demande est entendue le 4 septembre 2020 et l’autorisation d’appeler est accueillie le 8 septembre 2020.
Le 2 février 2022, la Cour d’appel du Québec rejette l’appel et confirme le jugement rendu par la Cour supérieure, confirmant par le fait même la décision de la Cour du Québec déclarant M. Castiel coupable d’avoir exercé des activités de lobbyisme sans être inscrit au registre des lobbyistes.
La Cour d’appel confirme que l’infraction d’avoir exercé des activités de lobbyisme sans être inscrit au registre des lobbyistes est une infraction de responsabilité stricte, qui ne nécessite pas la démonstration de l’intention coupable (mens rea). La Cour conclut que l’utilisation des mots « en vue d’influencer ou pouvant raisonnablement être considérées, par la personne qui les initie, comme étant susceptible d’influencer la prise de décisions » dans la définition d’activité de lobbyisme à l’article 2 de la Loi n’établit pas l’intention, mais sert plutôt à décrire et définir les caractéristiques intrinsèques d’une communication écrite ou orale avec un titulaire de charges publiques. La Cour d’appel confirme que l’intention de la personne qui initie la communication n’est pas en jeu et qu’il faut plutôt se référer au critère objectif de la personne raisonnable mise dans les mêmes circonstances afin de déterminer si une communication est susceptible d’influencer la prise de décisions d’un titulaire de charges publiques.
Bien que la Cour d’appel mentionne ne pas devoir, en principe, s’attarder aux autres éléments soulevés en appel, celle-ci se penche tout de même sur les éléments suivants : la prise en compte du contexte entourant le courriel pour qualifier celui-ci d’activité de lobbyisme et le refus d’appliquer l’exception de l’article 5(2) de la Loi.
La Cour d’appel souligne que la juge de première instance n’a commis aucune erreur en tenant compte du contexte entourant le courriel du 12 février 2016 afin de conclure qu’il s’agissait d’une activité de lobbyisme, cette communication ne pouvant être bien comprise qu’à la lumière de l’ensemble de la démarche de M. Castiel auprès de la ville. Elle souligne également que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur en rejetant la prétention de M. Castiel d’assimiler la demande écrite de tenir une assemblée extraordinaire à une séance publique de la ville, mentionnant que cela ne cadre pas avec le libellé même de l’article 5(2) de la Loi. La demande n’étant pas publique, la Cour d’appel conclut qu’il n’y avait pas lieu de considérer une demande privée pour tenir une telle séance comme s’il s’agissait d’une séance publique bénéficiant d’une exemption.
Pour lire les jugements :
Cour du Québec 2018-12-21
Déclaré coupable de l’infraction reprochée
DPCP c. Castiel, 2018 QCCQ 9418
Cour supérieure du Québec 2020-08-28
Appel du jugement rendu 2018-12-21 rejeté
DPCP c. Castiel, 2020 QCCS 2426
Cour d’appel du Québec 2020-09-04
Demande pour autorisation d’appel hors délais – 2020-09-08 Accueillie
Castiel c. DPCP, 2020 QCCA 1149
Cour d’appel du Québec 2022-02-02
Appel du jugement rendu le 2020-08-28 – Rejeté